Lorsque le poète poétise, que le peintre peint, que le compositeur compose, que le sculpteur sculpte, si le geste créatif relève d’une abstraction scolastique raisonnée, l’œuvre qui en résultera sera peut-être admirée par certains pédants pour répondre aux canons académiques, mais elle aura bien peu de chances d’être transcendante en tant qu’œuvre d’art et, à ce titre, n’aura guère la vocation de phare pour l’humanité.
Moteur des créateurs – dont le carburant serait constitué des émotions – l’intuition est ce quelque chose d’indéfinissable qui permet à un être pensant d’agir sensément hormis l’intervention de la pensée. Elle est quintessence du savoir, libre encore de l’emprise d’une raison raisonnante.
En permettant à l’intuition de commander nos actes et à nos émotions de les inspirer, nous accédons à l’illumination du prophète et du chaman, car nous sommes alors en harmonie avec l’énergie divine et celle de la Terre Mère ; point n’est besoin d’expliquer une perfection cosmique : nous somme dans le domaine de l’intrinsèquement juste.
La stricte application de cette règle d’or a permis de voir le jour aux courants artistiques révolutionnaires du vingtième siècle naissant : dadaïsme, modernisme, surréalisme, impressionnisme… et même l’art brut, sont autant de louanges à la divine intuition, mère de tous les arts, musique, danse, peinture, sculpture, architecture… et poésie.
À l’inverse, le Bauhaus est un exemple de débauche rationnalisante où le discours théorique a précédé l’acte créateur dans une intuition bridée par la rhétorique ; des schémas directeurs ont suscité une multitude d’expérimentations abstraites dans des domaines très divers, aboutissant, la plupart du temps, à se perdre en futiles considérations dans des arts appliqués, décoratifs et utilitaires. De ce courant, la postérité ne retiendra que les avancées dans l’épurement de l’architecture. Rien d’étonnant à cela : nous demeurons ici dans l’univers du construit.
L’intuition se nourrit d’expérience, de savoir ancestral, de mémoire génétique. Elle est libre de négociation, d’hésitation, de tergiversation morbides. Lorsque l’intuition s’est exprimée hors de toute contrainte, alors la pensée réflexive peut à son tour intervenir opportunément : le discours analytique aura place légitime pour justifier devant un spectateur critique le bien fondé et la justesse du geste accompli dans le déracinement, la solitude et le silence.
Il revient donc au créateur de cultiver cette indépendance d’esprit, cette liberté, cette pureté indispensables à la réceptivité de l’illumination, mais aussi d’affiner sa sensibilité, son écoute intérieure, sa perception intuitive des vérités cachées du monde : l’accès au royaume des cieux ne sera concédé qu’à ceux qui auront gardé intacts leur cœur et leur regard d’enfant.
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