Le DISCOURS DE PAIX englué dans l’émotionnel ambiant.

article de Jean-Louis Carrasco Peñafiel, (février 2016)


Il est à présent tout à fait évident que l’émotionnel a pris place dans le fond culturel de nos sociétés mondialisées. Le registre de l’affectif est largement déployé comme moyen de gouvernance, mais aussi comme mode d’expression populaire : la presque totalité des émissions télés jouent du registre affectif sécuritaire sans proposer d’information autre que les faits instantanés.

L’univers des défenseurs de la paix, dans un Occident hanté par les menaces à venir, ne semble pas échapper à la règle. On se dresse, on fait tapage de colloques et de poignées de mains, sans pour autant s’appliquer à dénoncer les véritables situations d’injustice susceptibles, elles, de compromettre gravement la paix.

On parle de paix comme on évoquerait un Éden à retrouver d’urgence, mais lorsque les pouvoirs d’aujourd’hui menacent directement la paix des consciences, pas ou trop peu de voix s’élèvent.

Le public, soumis à des pressions toujours plus fortes, est disposé à s’en remettre au premier sauveur venu. René Daumal décrivait le sujet vassal que nous sommes en ces termes : «Des cadavres d’espoir à la dérive réclament l’éternelle naissance d’un perpétuel meurtrier». Et William Reich de rajouter dans son pamphlet «Écoute petit homme»: «je ne veux plus t’aider à te choisir une nouveau tyran de plus !»

Des réactions à chaud sans réflexion pour dénoncer la violence et la barbarie, aux excès d’un candidat conservateur à la présidence des États-Unis, l’écart est à présent franchi : tout se passe comme si désormais le public, ballotté au gré des événements, des faits divers bien souvent, en vient à réclamer plus de fermeté, à n’importe quel prix. Il y a là une menace majeure pour la paix civile et la démocratie.

En 1967, Guy Debor annonçait dans son ouvrage «La société du spectacle» comment les pouvoirs allaient surfer sous les feux de la communication. Le fait du grand show politique n’est nouveau que par les moyens technologiques auxquels il fait appel aujourd’hui : les parades, de l’antique Rome aux défilés nazis, utilisaient et utilisent toujours les mêmes ressorts émotionnels primaires. On peut se faire une idée assez précise de l’ambiance qui régnait dans les arènes en observant ce qui se passe sur les gradins des matches contemporains.

On réclame plus de sécurité au risque de perdre sa liberté, quitte à renoncer aux deux à la fois, selon la célèbre mise en garde de Benjamin Franklin, car une société qui ne respecte plus la liberté d’opinion et de conscience expose chacun de ses sujets à la privation arbitraire et subite de l’une comme de l’autre. Les pacifistes ne semblent pas vouloir le rappeler.

L’émotion devient le mode de gouverner, en politique ou à présent en entreprise. Plus c’est gros, mieux ça marche. Qu’importe pour nos aristocraties «ancien régime» si les valeurs du siècle des Lumières qui ont fait notre Nation sont piétinées, pourvu qu’on se maintienne au pouvoir. Et au diable les contradictions : tandis qu’au nom de la liberté d’expression, on brandit les exemplaires du journal satirique qu’on n’avait probablement jamais lu auparavant, le moindre faux pas en matière de réflexion critique conduit immédiatement à l’isolement médiatique. On vient encore de le voir avec Michel Onfray, et d’autres.

Penser, n’est plus au goût du jour : on s’émeut. Les masses électorales deviennent convulsives, elles sont comme la mauvaise toux que se plaisent à entendre et ausculter nos dirigeants. La population se range comme un seul homme derrière l’indignation de ceux qui sont responsables à grand échelle de plusieurs millions de morts depuis le début des guerres du pétrole en Afghanistan, puis ailleurs, comme on sait. Le candidat américain appelle à faire un «tapis de bombes» contre l’armée islamique quand Obama préfèrerait des «frappes ciblées»., pour épargner les civils. Pour se prémunir contre l’assaut des pauvres, on dresse des murailles partout, en Israël, en Russie, aux portes de l’Europe et demain à la frontière du Mexique, sans se rendre compte que l’exclusion que l’on se propose d’atteindre a un corollaire qui nous rattrapera : l’enfermement. Inutile d’insister sur le nécessaire brassage qui nourrit et transforme le monde du vivant : il n’y a que les tombeaux où l’air ne se brasse pas.

Dans un pareil contexte, qu’en est-il des expressions actuelles d’un désir de paix ? Notons tout d’abord que, ironie ou signe des temps, et comme dans les années Jaurès d’avant-guerre, on ne parle vraiment de paix d’une manière très large, que lorsqu’on s’approche du bord de la catastrophe. Comme si le branle bas pacifiste annonçait l’imminence de son contraire.

Mais surtout, le discours de la paix joue lui aussi, en France particulièrement, sur la fibre affective. On exprime de nobles vœux, persuadé intimement que le travail est fait par cette simple intention, sans proposer une véritable réflexion sur les mécanismes de domination qui assurent la paix du plus fort. On multiplie les événements ou les rencontres culturelles, inter religieuses, on se félicite de montrer la voie du vivre ensemble sans aucun esprit critique sur tout ce qui, demain et dès aujourd’hui, le met ouvertement en péril.

On a été largement Charlie dans notre pays, sans penser une seconde aux victimes de l’autre camp. On prétend dénoncer la violence sans s’élever par exemple contre l’encerclement des palestiniens, mais en réalité on ne sort pas d’une approche purement morale et sensible, en ignorant à toute force ce qu’est réellement la violence dans ses formes concrètes de domination.

Lanza del Vasto, invité à la télévision par Louis Pauwels qui avait cru pertinent d’illustrer la violence avec un échantillon des scènes prises en cités, perpétrées à l’époque par des «blousons noirs», s’exclamait en substance : ça n’est pas ça la violence ! La vraie violence c’est la violence institutionnelle, celle qui ne dit pas son nom, mais qui écrase !

Les musulmans de France ont montré à l’occasion des attentats récents qu’ils ont du mal à être de vrais citoyens de la République, capables de critique citoyenne à l’égard du pouvoir, empressés ou prisonniers qu’ils se sentent de montrer combien ils sont bons patriotes à l’égard de la France. Malgré leurs efforts ils ne parviennent pourtant pas à convaincre une population sur la défensive. Nombreux envisagent déjà le départ «au Pays».

Quand les leaders de la paix les plus en vue des médias, bouddhistes, chrétiens ou soufis, parlent de l’amour en des termes fort émouvants mais désincarnés, quand leur discours n’affronte pas les réalités géopolitiques globales et locales, ni encore moins les responsabilités engagées, il faut craindre que le sentiment de paix qui anime si généreusement beaucoup de personnes, s’inscrive finalement et durablement dans le jeu de la paix du dominant, c’est-à-dire celui de la poursuite de la guerre globale.

Car où est la paix quand les morts du côté des écrasés pèsent bien moins que nos victimes à nous ? Lorsque nous présentons la fleur de la paix d’une main, dans l’émotion la plus recueillie, où est la paix si nous ne voulons pas voir les avions et l’argent que nous tenons dans l’autre main ?

Et l’Arche dans ce concert de voix éplorées ? Heureusement pour nous, hélas pour le plus grand nombre, elle est l’une des très rares organisations à avoir pris position par son appel à ne pas cautionner la guerre des puissants. Elle a ainsi renouvelé l’esprit de résistance qui l’animait durant le conflit en Algérie et qui le l’a jamais quittée. Mais demain ? À l’intérieur de la Communauté, nous aurons à veiller à ce que la culture héritée de l’Arche du début, esprit critique, désobéissance, action non-violente et résistance aux faits comme aux discours d’injustice, soit toujours bien opérante auprès des nouvelles générations qui nous rejoignent. Certes, partage, convivialité, fraternité, vivre ensemble, et pourquoi pas amour, tous ces bons et nécessaires sentiments, pourraient bien cacher ce même glissement qui affecte notre société, à savoir le désir de refuge en des valeurs sentimentales en réalité vides de contenu politique. Le véritable engagement profond de l’Arche, s’il se manifeste en effet au quotidien par l’accueil et le partage, réside en sa capacité à dire Non ! Non à toute forme de barbarie, celle qui nous atteint mais surtout celle que nous perpétuons, tellement plus effroyable, non aux formes d’aliénation qu’impose à présent la véritable tyrannie de l’émotion et de la pensée unique à côté de toutes les formes d’avilissement que nous connaissons. Ne laissons pas glisser notre demain dans la grande symphonie des voix attendries de la paix. Sachons payer le prix de la Paix, comme le recommandait Shantidas, fidèle au Mahatma Gandhi qui voyait le non-violent comme un guerrier, un guerrier de la Paix.


2 réflexions au sujet de « Le DISCOURS DE PAIX englué dans l’émotionnel ambiant. »

  1. Bonjour, Je partage totalement, entièrement votre message enfin reconnu !!!!! J en suis victime car je suis une grande hyper sensible mais je me prends en charge pour évacuer toutes les mauvaises ondes, les méchancetés gratuites, etc…………..

    Bien cordialement. Fatima.

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